La triste histoire de l’Abbaye

Voici la triste histoire de l’Abbaye-Nouvelle près de Gourdon-en-Quercy, la dernière et peut-être Ia plus étrange des grandes Abbayes cisterciennes.

Elle commence dans les années 1240 ; villes et bourgs du Quercy bruissent alors d’une intense activité mercantile. Marchands et banquiers « Cahorsins » sont présents sur toutes les places d’Europe et l’on exporte le vin du pays jusqu’à Londres.

Temps de prospérité avant les désastres du XIVème siècle et les ravages de l’interminable guerre de Cent Ans.

Dans les années 1240, règne sur l’ouest du Haut-Quercy la puissante famille des seigneurs de Gourdon, vassale des comptes de Toulouse.

Or c’est un jour de l’an de grâce 1241 que Gourdon reçoit la redoutable visite du dominicain Pierre Cellani « inquisiteur en Toulousain et en Quercy », qui prononce 136 condamnations pour hérésie cathare, 30 ans après la tristement célèbre Croisade des Albigeois. Parmi les insculpés : Bertrand de Gourdon et son fils Fortanier, seigneur du lieu.

Ce que voyant, Guillaume de Gourdon, seigneur de Salviac, homme prudent et fin politique, fait don le 7 mars 1242 à la puissante Abbaye cistercienne d’Obazine  de plusieurs terres prises sur ses fiefs dans l’actuel canton de Salviac, pour y installer une Abbaye “fille”. C’est au lieu-dit “Pech-Gisbert”, dans la petite vallée du Céou, que l’ordre décide d’implanter un monastère. Il sera le gardien de l’orthodoxie face à la menace de l’hérésie, rôle classique de nombre d’abbayes cisterciennes dans le midi de la France.

Probablement élevé entre 1260 et 1287, le monastère doit très vite faire face à de graves difficultés financières, face à l’administration tatillonne d’Alphonse de Poitiers

Mais il y a le pire : à l’aube du XIVème siècle, c’en est fini de la belle époque cistercienne. Désormais c’est aux “ordres mendiants“, dominicains et franciscains, que vont les donations.

L’abbaye est nommée « nouvelle » car une première tentative de fondation d’une abbaye dans cette région avait eu lieu, environ un siècle auparavant en 1150 par Saint-Étienne lui-même, dans la commune actuelle de Lavercantière. Cette abbaye fut déplacé dans le nord du bassin aquitain, à La Garde-Dieu. Il faut attendre un siècle pour avoir des conditions plus favorables à l’installation d’une abbaye cistercienne (F. Pécout, mémoire de maîtrise P. 20). deux facteurs importants à cette installation : une nouvelle ère économique prospère et l’apparition de l’hérésie albigeoise dans tout le Quercy. Les seigneurs de Gourdon, bertrand et son fils fortanier sont parmi les inculpés.

La parallèle n’est-il pas étrange d’ailleurs, entre l’architecture cistercienne tardive de l’Abbaye-Nouvelle, et celle de l’église Notre-Dame des Cordeliers de Gourdon qui date, elle, de 1274 ? Sans doute aussi en est-ce fini de l’âge d’or du Pays d’Oc, à l’heure où le comté de Toulouse est rattaché à la couronne de France en 1271.

1347 puis 1356, les troupes anglaises occupent Salviac et le Quercy.

1367 : une “Grande compagnie” pille la région de Gourdon.

1380 : la destruction de l’Abbaye commence, à une époque où Gourdon elle-même ne comptait plus que, dit-on… 5 habitants! 

Bien sûr, après 1450, vinrent des jours meilleurs…

L’Abbé Bernard de Maranzac renouvelle les baux à fief tombés en désuétude, entreprend des travaux de renforcement de l’Abbaye.

Le pape Alexandre VI de Borja, par une bulle de 1502, intime l’ordre de réparer les bâtiments conventuels et d’installer six moines de plus. Mais jamais, semble-t-il, les revenus de l’Abbaye ne permettent un tel développement ; jamais plus les bâtiments claustraux ne seront restaurés. Au XVIème siècle, le prieur et un unique moine occupent le monastère avec des frères converts.

En 1658, Alain de Solminihac, évêque de Cahors décide la transformation de l’église abbatiale en église paroissiale.

Un siècle et demi plus tard, c’est une abbaye ruinée et complétement désertée qui est mise en vente le 12 juin 1790 par les autorités révolutionnaires et vendue à la commune pour une somme de 31900 francs. Ultérieurement revendue à deux familles du pays, l’église fût partiellement restaurée au XIX siècle.

Quant aux pauvres restes des bâtiments conventuels, ils furent transformés… en carrière de pierres.

Etrange abbaye, comme venue trop tard, dernier feu de l’art cistercien en Pays d’Oc.

Etrange abbaye dont la pureté et la grandeur architecturales toutes cisterciennes, n’abritèrent jamais gloire ni puissance.

Exceptionnelle abbaye, perchée sur le rocher trapezoidal du Pesh-Gisbert dominent la vallée du Céou, unique abbaye cistercienne, avec celle de Belmont en Syrie, à être ainsi perchée.

Exceptionnelle abbaye aussi, construite sur deux niveaux, où l’église abbatiale repose sur une belle salle voutée qui servait de cellier au monastère. On ne connait pas d’autre exemple d’une telle architecture dans l’ordre des Citeaux.

Exceptionnelle abbaye enfin, dont l’église, cas unique dans l’art cistercien, n’a pas de transepts. Une nef unique à cinq travées courait à l’origine sur 45 mètres de long ; aujourd’hui, seules deux travées subsistent intactes au nord/nord-ouest.

Et seul cet imposant lambeau d’église, à la proue du rocher, témoigne de ce qu’a pu être un monastère presque entièrement disparu dont on comprend enfin d’exhumer la structure et de sauver les derniers vestiges.

Reprise des archives de l’Association “les Amis de l’Abbaye-Nouvelle”